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Le bal des crabes

Publié le par Elisabeth St Michel

Ce texte m'a été très librement inspiré par la récente affaire qui a vu une enfant de 11 ans considérée comme consentante lors d'une relation sexuelle avec un homme de 28 ans. 

Je le dédie à beaucoup d'enfants, que je connais, que je ne connais pas et à des adultes qui portent en eux leur histoire, des années après.

 

 - Accusée, levez-vous.

 

La petite sursaute. Assise sur une chaise trop haute pour elle, ses pieds ne touchent pas le sol. Elle se lève. Son inconscient s'apprête à lui jouer un mauvais tour mais, bien sûr, elle l'ignore. Il se croit aujourd'hui au tribunal. Il va exceller dans sa spécialité : poser des nœuds et tordre le réel.

Des pensées insouciantes se glissent dans l'esprit de la petite. On parle en elle tandis qu'elle s'échappe. Elle aimerait essayer son nouveau vélo, peut-être manger une crêpe au chocolat pour le goûter.

 

- Cette enfant vient d'avoir neuf ans. Pendant des années, aucun problème ne s'est posé à elle et tout s'est déroulé sans accroc dans sa vie. Jusqu'à une rencontre, il y a quelques mois, dans son entourage proche, rencontre qui aura, sans nul doute, sur son existence, une influence qu'elle ne peut mesurer aujourd'hui.

 

La petite rêve. S'il fait beau, dimanche, on ira à la mer. Peut-être qu'on pourra se baigner, se laisser ballotter dans les rouleaux. Et puis, avec la pelle et le râteau, construire un donjon, des tours, un fossé qui se remplira d'eau quand la marée montera.

 

- L'enfant s'est laissé séduire. Elle a contribué à satisfaire les besoins affectifs et sexuels d'un des adultes en qui elle avait le plus confiance, en ayant la naïveté de croire que, par lui, rien de mal ne pouvait arriver. Elle s'est laissé prendre dans ses filets. L'adulte le lui a dit, « ils sont bien tous les deux, non ? »

 

Oui, il le lui a dit. Et elle l'a cru.  Elle ne savait pas que ce n'était pas bien. Il le lui demandait toujours gentiment. Mais déjà, c'est oublié. Elle songe à sa voiture à pédales, le plus beau cadeau qu'elle ait eu. Demain, au retour de l'école, elle arpentera fièrement les allées du jardin. 

 

- L'enfant accepte tout d'abord le sceau du secret qui lui est demandé. En effet, en aucune façon elle ne doit parler de ce qui se passe entre l'adulte et elle. C'est une règle absolue. Parler, dit l'adulte, c'est à coup sûr interrompre le jeu qui les lie. A l'abri des regards, on s'embrasse, les mains glissent sous les vêtements, on soupire, on est complices. Tous les deux. Rien que tous les deux. 

L'enfant parle pourtant un jour.  Elle raconte les faits. Une oreille attentive est alertée. Il faut en dire un peu plus. La petite raconte calmement.

Je t'avais demandé de ne rien dire a sermonné l'adulte, soudain privé de plaisir parce que l'enfant n'a pas su tenir sa langue !


Elle n'aurait pas du en parler. Elle a fait de la peine à cet homme familier quand il a compris qu'elle l'avait trahi. Il l'a grondée et a été déçu par le peu de confiance qu'il pouvait lui faire. Elle ne pourrait plus l'avoir pour elle toute seule a-t-il dit.
La petite s'enfonce en elle-même. Son cœur se dépêche de faire ses valises pour des contrées oublieuses. L'effacement de tout la caresse des yeux. Au fond d'elle, la petite mécanique subconsciente est active et, sans recul ni intervention extérieure, elle fait fausse route dans sa recherche du coupable.

 

Dans sa tête, le grand débat se fait à son insu. Son entourage, n'a pas évoqué avec elle ce qui s'est passé. Pensant ainsi la protéger, il a refermé le couvercle. C'est pour cette raison qu'elle est sans témoin et sans avocat.

On se penche, alors qu'elle s'assoupit , sur la manière dont elle devra réparer sa faute. On évoque les séquelles engendrées par la dérive dans laquelle elle est impliquée.

L'enfant, elle, a terminé d'enfouir les faits dans des zones de souvenirs non disponibles avant longtemps.

Ses jambes pendent de nouveau de la chaise trop haute sur laquelle elle s'est réinstallée.

 

A la question, l'enfant est-elle coupable, il a été répondu oui.

La voilà condamnée à vivre avec une culpabilité, de manière plus ou moins consciente, pendant un temps qui débordera largement sur sa vie d'adulte. Elle croira peut-être qu'elle a une dette à payer et qu'elle doit réparation. Un jeu de dupes dont elle sortira perdante.

 

Pour l'instant, elle se retourne dans son sommeil. Les notions de bien et de mal, les rapports de force adulte enfant n'ont pas de réalité dans son tout jeune esprit. Dans ses mains, du sable chaud qu'elle laisse filer, inlassablement et qui la chatouille. Elle n'a aucune conscience des petits crabes qui circulent autour d'elle.  

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