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Ton inséparable

Publié le par Elisabeth St Michel

Les quatre textes qui suivent ont été écrits durant l'été 2019, pour conjurer, contrer maladroitement un grand départ non préparé, une mort non annoncée...

Une boite métallique, fatiguée, usée. Une inséparable de toi. Disperser un peu de tabac, installer un filtre, une feuille, rassembler le tabac contre la fine toile de tissu. Rouler, maintenir, fermer, récupérer la cigarette. Toujours à portée de toi, Dans ta poche latérale, ta poche revolver, ton sac, ta sacoche, sur ton siège, ton établi, ta table de nuit, ton bureau, dans ta valise. Usée par tes paumes, par tes pouces. Éreintée de s'ouvrir, se fermer, se rabattre, ternie par le temps, la poussière, les fonds de pots de Pueblo que tu réunis quand la flemme se fait sentir de descendre au village.

Toujours au centre. Entre elle et toi, plus qu'une connivence, elle est une peau dont tu connais par cœur le grain. Ton geste est sûr, la boîte se cale entre tes doigts, la cigarette sort. Combien ai-je fait de tentatives, moi, avant de me familiariser avec le matériel ? Combien de tu m'en roules une petite suivi d'un laisse je vais le faire. Combien de cigarettes au filtre pendouillant, ou si serrées qu’elles étaient infumables ? Puis quelle fierté, bien dérisoire, avec le recul, j'en prends conscience, de réussir moi aussi l'opération ? Même en voiture, quand tu conduis, même au soleil, sous un tunnel, à contre-jour ou sans appui.

Ta boîte métallique, ta boîte à rouler, ton inséparable.

La toile ne tenait plus qu'à quelques fils, les minuscules charnières se plaignaient discrètement et disons-le, la boîte se déglinguait. Pourtant, l'essai que tu as fait de la remplacer, allant jusqu'en Belgique pour tenter de trouver l'identique a été un échec, la boîte brillante, toute neuve, au fin film plastique remplaçant la toile n'a pas fait long feu et a fini dans un tiroir.  La boîte usée, patinée, ternie est restée ton inséparable. Il a fallu commencer à la manipuler avec précaution, comme une vieille dame. Sur le couvercle les cinq lettres, RIZLA avaient encore de beaux jours devant elles. J'aurais aimé la conserver, cette boîte. Tant de toi s'y est inscrit, tes contemplations, tes méditations, tes marches, tes palabres sur la plage le soir venu, tes lectures, tes grands enthousiasmes. Mais quelle idée, de vouloir conserver de toi l'objet intime qui a sans doute contribué à t'emporter ? N'empêche, bêtement, elle me manque.

J'écris au passé au sujet de cette boîte alors que, si toi tu as disparu, elle est encore là, ses rides oxydées au repos à présent.

C'était ton objet intime, inséparable. Usé, patiné, terni et irremplaçable. Je l'associais au son de tes innombrables briquets. Au bruit du couvercle refermé succédait aussitôt celui de tes briquets, le plus souvent vides, que tu actionnais les uns après les autres et que tu utilisais parfois par deux, frottant les pierres l'une à l'autre jusqu'à l'étincelle. Enveloppe tactile, sonore et olfactive quand les premières volutes de fumée tournaient autour de ton visage. Ce n'est pas moi qui ai récupéré l'objet. Je t'y aurais retrouvée, y aurais plongé le nez, aurais réanimé des odeurs, des sensations, des gestes. Elle est une trace remplie d'empreintes de toi. Aurait-elle été, si je l'avais gardée, tricoteuse de souvenances comme j'en ai l'intuition ? Quelle ambivalence, quand j'y pense. Je m'attendris sur un objet pourvoyeur attitré de poison.

 

 

 

C'est un objet témoin. Une simple boîte à rouler des cigarettes. Oxydée, usée par le temps, par la vie rude du campo, par la poussière, par juste la vie. Un objet simple, astucieux, et celui qui en a inventé le mécanisme a dû s'en féliciter. Elle requiert moins d'habileté que pour rouler le tabac entre les doigts comme font certains. Et elle sert aussi de boîte de transport. Un peu de tabac d'avance, quelques filtres, un paquet de feuilles et on peut s'en aller et avec soi, avoir de quoi tenir deux ou trois heures. Elle trônait partout où tu étais, même à l'hôpital où elle a cessé, définitivement, de servir et un peu à la fois, de t'intéresser. Sont venues, entre la boîte et toi, quelques semaines d’indifférence.

C'est une boîte que j'ai toujours connue, je veux dire connue en même temps que je t'ai connue, toi. Une boîte devenue vieille, et à laquelle je m'étais attachée, comme on s'attache à ce qui entoure les gens qu'on aime. Une boîte à rouler des cigarettes, rien d'extraordinaire. Usée, fatiguée, ayant rempli sa mission. Un objet venimeux, que je garde pourtant côté cœur. Elle sera malgré tout vecteur de transmission et restera la boîte de. Ta boîte. Un objet témoin, un objet intime, usé, fatigué par tes paumes, par tes pouces. Ton inséparable. Elle traversera encore des années de nos années, à nous, les vivants.

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Ces blancs dans le texte

Publié le par Elisabeth St Michel

Ces blancs dans le texte

Quitter la côte au café Esperanza                  tourner à gauche               monter                     dépasser la maison du chevrier                 la propriété des Anglais                        l’ancien moulin        la casa de Adolf y su hermana                    lunettes de soleil           les murs sont d’une blancheur éclatante       le cimetière et les trois bancs            plus haut            la loma del niño perdido                 des visages burinés qui regardent le temps                      longtemps        le tunnel                 repère                   lieu de rendez-vous                   passer sous l’autoroute          quitter le macadam pour la terre                    chemin de terre           éviter les ornières     les pierres qui ont roulé        
 laisser la voiture  cahoter en seconde    tout est si familier           les lapins détalent               traverser le rio déshydraté
monter encore               la voiture rechigne un peu             dernier virage serré               vue sur mer                et sur cette ferme en ruine                  
qui câline le regard                voilà la chienne                ta chienne       affairée          même si elle traîne un peu la patte                    
en haut du petit escalier de pierre bordé de fleurs, c’est chez toi                  ce chemin                  je le refais souvent                 tant et tant                 mentalement                    je ne l’emprunterai plus                               chez toi               arriver chez toi                                        se quitter un jour et savoir toi et moi               dernière fois                  l’espace d’un regard                 la terrasse                       retraverser la terrasse         la maison                   se retourner vers la maison                faire un signe que tu ne vois pas                   trop de fatigue                     et ces blancs dans le texte.             

 

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Aller simple pour l'infini

Publié le par Elisabeth St Michel

Aller simple pour l'infini

Les blancs, dans le corps du texte, se sont accumulés jusqu’à former barrage à la décidée de tes chemins. Celui auquel tu adjoignais volontiers un possessif: mon chemin, philosophique, spirituel et curieux, explorant avec gourmandise les possibles, est devenu illisible. L’artère de pierres et de poussières, bordée d’oliviers et de manguiers, l’artère si familière qui conduisait chez toi a laissé la place à une série de blocs inintelligibles. Quant à ce tapis rouge que tu déroulais sur la carte, ce grand voyage qui t’habitait et transcendait tout -sentais-tu que la vie te lâchait pour mettre, dans sa préparation, autant d’énergie,  ces kilomètres aux côtés d’un âne, élu, préparé, équipé, entrainé, il a chaviré quand, dans ton grand espace mental, tout a commencé à aller à vau-l’eau.
Tout s’est barré de blanc, tout s’est barré tout simplement. Sidération violente, impuissance, chagrin confus, intuition de l’absence à venir et d’un compte à rebours. C’est la première hypothèse , les blancs, tous ces blancs, ceux aussi de la clinique et
des grands silences qui ont suivi, s’étalent encore, font tâche neigeuse, opaque et capturent tout dans le texte, ils en mangent le moindre fragment, jusqu’à
la ponctuation, devenue sans objet, ils s’en repaissent jusqu’à rendre copie blanche, sans commentaire, sans début et sans suite. Une page de garde trop personnelle, des interlignes trop laiteux, alignés et solidaires, pour accoucher d’un livre.
Dans le texte, les silences se délitent, l’encre blanche n’est pas monolithique, tu
détestais l’immobilisme et les arrêts sur image, trop longs, que l’on fait parfois sur soi. Tu y voyais du nombrilisme, voire de la complaisance -nom de Dieu, il me fait froid, cet imparfait- tu pataugerais, toi, sans hésiter, dans l’encre blanche, tu la brasserais résolument pour lui donner couleur et sens. Tu en ferais une aventure et laisserais à
distance l’intime. C’est la seconde hypothèse. Tu le fais, ce voyage, je pars avec toi, discrètement, juste pour ouvrir des guillemets là où tu aurais posé tes traces, pour t’offrir des exclamations et un récit possible. Tu es en avant, comme toujours. Les
paysages se dévoilent au fil de tes étapes et ne te déçoivent pas, l’âne est gourmand et fidèle. Ton pas est assuré, régulier, tu trouves chaque soir où bivouaquer. De concert, piaffent sabots et semelles. Les mots se rapprochent les uns des autres, franchissent les fossés laissés par les cases vides. Des phrases nouvelles se constituent, ton visage se
reforme là où il avait fait naufrage. S’il ne se raconte pas, le voyage s’invente. Tu étais friande d’imaginaire, de parcours rêvés et délestés du poids de la raison.
La troisième hypothèse est le big-bang du texte qui explose et retourne à l’univers qui te faisait de l’oeil. Tu ne craignais pas la mort, l’autre rive, pour toi, c’était un retour au monde minéral, végétal et cosmique. La mue produit des particules infinitésimales. Les mots, les lettres n’y ont aucun sens, chronologie, effets de style, métaphores et effets poétiques sont vains, il n’y a ni monologue ni conversation, ni début ni fin. Il ne sert à rien d’y pousser la langue dans ses retranchements. Le récit est non verbal, sensoriel, fait de signes et de perceptions, détaché de la logique et du souci de cohérence. Elle te raconterait à la perfection, cette narration-là, odyssée muette et flamboyante, remontant de l’air, de l’eau et du feu, remontant de la terre et déchiffrable en tout lieu et à chaque instant. C’est celle qui te séduirait le plus et celle que je conserve.
Une quatrième  hypothèse ne serait qu’un pâle jeu
de miroirs.

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